Priorité au tourisme



[…] Ce fragile équilibre économique et social va être fortement remis en question au début des années 1990, période durant laquelle le gouvernement donne la priorité au tourisme international. Il finance la construction d’un aéroport international à Tozeur pour désengorger la côte surpeuplée de la Méditerranée. Une douzaine d’hôtels de grand standing apparaissent pour attirer des touristes du monde entier vers des séjours clés en main. Tout est garanti par le tour-opérateur, de la fête berbère le soir, avec musiciens « folklorisés », jusqu’à la méharée de quelques heures sur des dromadaires.
Coupés de toute communication avec la population locale, les visiteurs participent à cet apartheid touristique (…). Ce qui ne permet à aucun moment aux deux mondes de se comprendre ou de partager les mêmes préoccupations. Cantonnés dans un rapport social de consommation, les visiteurs consomment l’eau sans retenue : forages pour l’irrigation, les jardins et les pelouses, et canalisations d’eau potable assurent l’approvisionnement des réserves à touristes. (…) Couplée à une fragilisation du régime des pluies et à une montée générale de la moyenne des températures annuelles, la situation des agriculteurs de la palmeraie s’est ainsi fortement dégradée. Gérée historiquement de manière raisonnable, l’eau est devenue un bien comme les autres. (…) Cette substance abondante est devenue rare en se marchandisant. Elle est désormais payante pour l’arrosage de la palmeraie (150 euros par hectare et par an pour un arrosage hebdomadaire). À ce prix, peu d’agriculteurs ont pu survivre. Progressivement, les travailleurs de l’oasis quittent le travail des champs pour se consacrer aux activités touristiques. Ils passent rapidement de la logique de l’Homo situs à celle de l’Homo economicus, tournant le dos à des siècles de survie sur leur territoire.
(…) La minorité possédante et le capital touristique du Nord ont rapidement mis la main sur cette rente touristique au détriment de la population locale. Pis, le tourisme est regardé comme la seule solution pour le prétendu développement de la zone.
(…)La palmeraie recule au profit du désert. Seules 25 % des terres sont cultivées, et de nombreux palmiers meurent faute d’arrosage et d’entretien. La palmeraie sert de réceptacle à bouteilles en plastique d’eau minérale – résidu matériel et dérisoire de la pollution touristique.
Source : D’après Le Monde diplomatique, Claude LLENA, Tozeur ravagé par le tourisme, juillet 2004.