Niger : chronique d’une crise annoncée



L’affaire commence fin 2004.
Le résultat de la récolte de mil et de sorgho présente un déficit de 223 000 tonnes sur un total de plus de 3 millions de tonnes les dernières années, c’est-à-dire environ 7,5 %. La récolte 2004 n’en est pas moins la quatrième de toute l’histoire du pays en quantité. Ce déficit aurait pu être pallié par une hausse de 3 % des importations de céréales.
La faible pluviométrie et l’invasion acridienne sont données comme cause d’une crise alimentaire annoncée. L’invasion des criquets aurait détruit ce qui aurait poussé malgré l’arrêt avancé des pluies de l’hivernage. Le déficit le plus sensible concerne le fourrage pour les animaux (moins 4,6 millions de tonnes).
Cette invasion avait été annoncée bien en amont. Le gouvernement Tandja avait alors déclaré pouvoir y faire face avec des quantités suffisantes de produits insecticides. Lorsque les criquets sont arrivés, les traitements promis étaient insuffisants et les avions pour les pulvériser... absents.
Dès l’automne, le pays savait donc que l’hivernage 2005 serait difficile. Et c’est là qu’une des causes réelles de la crise actuelle intervient. Les commerçants, souvent alliés du pouvoir en place, ont conservé leurs réserves, achetées à bas prix, en attendant une hausse des prix qui ne pouvait que se produire, ou les ont vendues au Nigeria voisin qui connaît un pouvoir d’achat plus important. On estime à 13 000 tonnes la quantité de mil restée dans les hangars de la seule ville de Maradi. L’année dernière, le sac de mil de 100 kg, la base de l’alimentation nigérienne, se vendait entre 8 000 et 12 000 francs CFA (de 12 à 18 euros). Au cœur de l’été, il est monté jusqu’à 30 000, voire 35 000 francs CFA (45 à 50 euros). Rappelons que le salaire minimum, qui ne concerne qu’une minorité de la population, s’élève à 20 000 francs CFA. 63 % de la population vit sous le seuil de grande pauvreté (moins de 1 dollar par jour).
Les étals de Maradi, cœur agricole du pays, étaient et sont toujours fournis en céréales, arachides, volailles qui sortent des stocks. Ce qui manque, ce sont les moyens pour les acheter à de tels prix dans les zones agro-pastorales (Maradi, Zinder, Tahoua, Tillaberi en particulier).
Dans ces zones, la hausse des prix des produits de base se combine à la chute du prix du bétail.
Les éleveurs Peuls et Touaregs descendent en effet, après l’hivernage, vers les zones de culture pour y faire paître leurs troupeaux. Les agriculteurs leur laissent les tiges de mil et de sorgho. La brièveté de la saison des pluies 2004 et les dégâts causés par les criquets pèsent alors sur eux : les animaux n’ont pu se nourrir comme d’habitude. Les troupeaux seront décimés, parfois jusqu’à 90 %. De cela découle une baisse du prix des animaux.
Traditionnellement, une belle génisse se vend 85 000 francs CFA (130 euros), de quoi acheter 5 sacs de mil et tenir le temps de la « soudure » entre les deux récoltes. Cette année, l’état des animaux a entraîné une chute de leur prix de vente : 5 000 francs CFA parfois pour une bête décharnée, à peine de quoi acheter une mesure de mil (une tia). C’est donc bien à une crise du système de distribution que nous assistons, plutôt qu’à une crise de production.
La sécurité alimentaire au Niger a été laissée depuis des années entre les mains des commerçants, en parallèle à la mise en place de politiques libérales. L’explication par les phénomènes naturels ou la fatalité permet de couvrir ces contradictions.
31 octobre 2005
Source : Comité pour l’Annulation de la Dette du Tiers Monde (CADTM)
http://www.cadtm.org/spip.php?article1686, décembre 2004