L’écosystème du Lac Victoria menacé par divers évènements qui agissent en cascade



Dans le numéro de juillet 2005 du mensuel « Eaux libres », Christian Lévêque et Didier Paugy, ichtyologues à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD) sont interviewés à propos de l'évolution du lac Victoria.

E.L. : Comment expliquez-vous la disparition des cichlidés du lac Victoria ?

Christian Lévêque : Pour moi, c'est très étonnant car la présence de Lates niloticus n'a jamais eu cet effet ailleurs en Afrique. La perche du Nil est un poisson très banal que l'on trouve du Sénégal jusqu'aux grands lacs d'Afrique orientale. S'il est vrai que c'est un poisson vorace à croissance rapide, ce n'est pas une espèce dominante ni spécialement prolifique. Dans le lac Tchad, il ne prolifère pas. Dans le lac Tanganyika, il n'a pas éliminé les cichlidés. On l'a introduit dans le lac de retenu de Kossou, en Côte d'ivoire, et l'on n’a rien constaté de semblable. Il est vrai que dans le lac Victoria, les prédateurs sont en nombre car il abrite aussi trois espèces de Luciolates, qui sont des cousins de taille inférieure. On en a péché un qui atteignait tout de même 80 kg ! Didier Paugy : On n'a pas introduit que le Lates niloticus, mais aussi des cichlidés comme le tilapia (Aurochromis niloticus) qui est un compétiteur pour les haplochromines. Cela a contribué au déséquilibre en réduisant considérablement la chaîne trophique. [...] En fait, les extinctions massives de cichlidés sont le résultats de plusieurs facteurs qui sont entrés en synergie au fil des ans : la destruction de l'habitat, l'introduction de Lates niloticus, la pollution agricole, la croissance démographique et la surexploitation des stocks.

E.L. : Comment envisagez-vous l'avenir du lac Victoria ?

Didier Paugy : La pêche industrielle de la perche du Nil rend sa survie incertaine dans le lac Victoria. Alors que dans les années 1990, on y pêchait des poissons de 20 à 30 kg, on en arrive aujourd'hui à des prises de 3 à 4 kg seulement. On exploite la perche en phase juvénile ce qui peut entraîner à terme sa disparition complète. On arriverait ainsi à la disparition, du fait de l'homme, d'un poisson introduit par l'homme... Dès aujourd'hui dans certains secteurs du lac où la perche a été surexploitée, on observe le retour de certaines espèces d'haplochromidés. La catastrophe écologique annoncée n'est peut-être pas inéluctable, ni irréversible. Mais la disparition de la perche du Nil dans le lac Victoria serait une catastrophe économique pour les populations riveraines.
Source : Eaux libres, juillet 2005